Leçons tirées de la conférence sur le cyberespace de Budapest

Le 5 octobre 2012, avait lieu la « Conference on Cyberspace », un événement organisé par le gouvernement hongrois au nom de la communauté internationale. De nombreux ministres, hauts dignitaires et ambassadeurs ont afflué à cette conférence, ainsi que plusieurs hommes d’affaires. Le pitch tournait autour de l’importance de l’économie du numérique, et finalement les organisateurs de la conférence ont appris autant de choses lors de l’événement que ce qu’ils comptaient enseigner. Voici ce qu’on aura retenu de cette conférence.

Le Cyberespace

Le titre de la conférence est très révélateur : ce terme n’est plus utilisé depuis le début des années 90. En 1993, une publicité sur le côté de la route affirmait : « aujourd’hui bloqué sur l’A40, demain sur la Super-autoroute de l’information ». Le « Cyberespace », tout comme cette « Super-autoroute », était supposé être ce lieu qui appartenait aux geeks, mais personne n’était capable de faire le lien entre cette publicité et quelque chose de tangible. Maintenant que 81% de la population du Royaume-Uni utilise l’Internet, nous passons tous nos journées dans le « Cyberespace », à tel point qu’il n’est plus utile de l’appeler ainsi. Il semblerait que les gouvernements aient encore une vision de l’économie du numérique comme quelque chose de secondaire et qu’ils doivent, malgré eux, adopter. Et il n’est pas certain que ce soit uniquement une question de génération. On connaît encore trop d’entreprises qui perçoivent l’Internet de cette manière ; celles-là même qui ne seront plus présentes dans quelques années.

Les marchés émergents

C’est là où les choses vont se passer, et où elles se passent déjà. Pour ne citer que quelques exemples, la Tunisie, le Maroc, l’Égypte, l’Inde et même l’Albanie figurent parmi les pays les plus prometteurs. Les efforts fournis dans le but de numériser les écoles, les institutions et les procédures gouvernementales en Albanie sont exceptionnels. Ce pays est passé de presque rien en 2005 à une situation où « tous les services gouvernementaux sont mis en ligne du mieux qu’il est possible », dixit Genc Pollo, le ministre de l’innovation et des TIC du pays. De même, le ministre indien a fait preuve de détermination et de sang-froid : en Inde, les technologies de l’information et l’Internet sont vues comme de grosses opportunités, pas seulement d’un point de vue du business, mais aussi du développement. Cependant, nous n’avons jamais ressenti cette passion dans le discours des nations industrialisées. Quelque chose nous laisse penser que l’économie occidentale a de quoi s’inquiéter, à l’heure où l’industrialisation est en baisse et où l’économie du numérique pèse autant.

Rupture

Tous les orateurs qui faisaient partie du panel de l’économie du numérique et du développement, tous très hauts placés et des professionnels distingués, se sont accordés à dire qu’il y a une vraie rupture entre les politiciens et les hommes d’affaires. Ce n’est pas une question de dédain ou d’indifférence : les acteurs économiques du privé sont fascinés par les gouvernements et les représentants gouvernementaux sont également attirés par la capacité du monde des affaires à se réinventer en permanence. Cela veut dire que nous ne sommes tout simplement pas sur la même longueur d’ondes. Quand les décideurs désirent engendrer la croissance et séduire les innovateurs et les entrepreneurs, le discours qu’ils utilisent, sauf exception comme ce ministre albanais, est malheureusement incompréhensible pour la plupart d’entre nous. Même lorsque l’on fait des efforts.

Open Data

Les gouvernements parlent de l’open data comme d’un but pour l’avenir, mais nous vivons et respirons l’open data depuis des années maintenant (plus d’une décennie en fait pour la plupart des orateurs de ce panel). Le partage de l’information a toujours été le point de départ du marketing sur Internet. Les consommateurs veulent connaître nos recettes miracles ; ils veulent savoir ce que l’on sait, nos méthodologies, nos visions, etc. En d’autres termes, nos sites Internet doivent contenir ce que Vincent Flanders décrit comme « du contenu addictif ». Seth Godin a également apporté sa pierre à l’édifice avec son livre révolutionnaire intitulé Unleash the Ideavirus en l’an 2000. Les gouvernements réalisent cela aujourd’hui, mais trop souvent n’en font rien, comme le décrit le European journal of ePractice, dans son rapport en 2011, à cause de « la culture fermée au sein du gouvernement […] et la crainte perpétuelle de la révélation au grand jour des échecs et le tourbillon politique qui s’ensuit ». Non seulement les citoyens peuvent profiter de l’open data, mais les entreprises peuvent aussi s’épanouir en offrant des services et des applications basées sur ces données. Par exemple, l’été dernier, un débat public a convaincu la RATP de changer d’avis et d’ouvrir ses données au public et à la communauté de développeurs.
L’open data RATP, une démarche en 3 étapes

Le contrôle et la propriété intellectuelle

Ce sont ces deux questions qui posent le plus de problèmes aux autorités gouvernementales, et pas seulement dans les pays où la liberté d’expression est surveillée… Tous les gouvernements veulent adopter l’ouverture d’esprit du Web et sa promesse d’une économie mondiale accessible, mais en même temps, une démocratie totalement libre et brute au sein de laquelle toutes les expressions sont tolérées est un vrai challenge. Il y avait eu un précédent à l’eG8 Forum de Paris en 2011, en préambule de cette conférence Cyberspace.

Il est difficile de dire si cette conférence sur le Cyberspace va changer la façon dont est utilisée l’Internet et à quel point elle sera utile pour les gouvernements et leurs citoyens. De surcroit, nous ne sommes pas sûrs que les efforts de ces orateurs pour prêcher la bonne parole et mettre en avant les avantages liés à l’économie du numérique aient été un succès. Mais, cela vaut toujours la peine d’essayer.

Il nous semble également que depuis le premier jour, le Web a grandi de manière organique, en franchissant de nouvelles barrières ; c’est ensuite que les citoyens, les gouvernements et les hommes d’affaire ont adhéré, en enfreignant quelques lois au passage ; c’est seulement après que des réglementations ont été mises en vigueur pour résoudre ces questions et passer à autre chose. Cette manière chaotique mais pragmatique d’imposer l’innovation, de façon un peu contre-intuitive, s’est avérée être plutôt efficace. Nous sommes convaincus que cela va continuer dans ce sens à l’avenir.

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